Comment les Québécois se mirent au gin
Par: CATHERINE FERLAND, PH.D., HISTORIENNE
Le gin est un type d’eau-de-vie de grain qui a fait son apparition en Europe il y a plusieurs siècles. Boisson controversée (on la considérait au 15 e siècle comme un gaspillage éhonté de céréales), elle ne pouvait être vendue que par les apothicaires et pour usage médical seulement ! La demande populaire finit par inverser la vapeur, si bien que cet alcool devient très populaire en Angleterre. Il faut dire que le gin se vend à un coût particulièrement accessible dès les années 1650.
Son adoption par la population québécoise sera toutefois plus tardive. En effet, pendant toute l’époque de la Nouvelle-France (1608-1763), ce sont les vins et les eaux-de-vie de vin comme le brandy qui sont les boissons les plus recherchées par la population, même si le gin est parfois mentionné. Par exemple, chez certains notables de la Place Royale à Québec, on trouve des caves bien garnies où se côtoient des bouteilles de vin de Bordeaux, de Bourgogne et de Champagne, de flacons de vin muscat ainsi que des eaux-de-vie aromatisées au genièvre. La présence d’alambics et de serpentins trahit la confection d’eau-de-vie locale, mais celle-ci est réservée au milieu médical.
L’histoire de du gin québécois démarre véritablement après la Conquête. L’encre du Traité de Paris n’est pas encore sèche sur le parchemin que des entrepreneurs britanniques viennent s’installer à Montréal, Trois-Rivières et surtout Québec. Attirés par les faibles taxes et la main d’œuvre bon marché, ils viennent fonder des distilleries et des entreprises d’importation de spiritueux. James Grant est parmi les premiers distillateurs à Québec : ses installations sont fonctionnelles dès 1767. Les affaires sont très bonnes : il faut dire que la proximité du fleuve facilite grandement l’importation des matières premières (dont le grain), puis le transport des barriques et bouteilles vers les villes et villages. D’autres entrepreneurs préfèrent acheter sur les marchés européens par l’entremise d’agents, puis revendre à la population locale. L’importation de « genièvre de Hollande » débute aussi dans les années 1760.
La production et la vente de gin devient un levier économique important du Québec au tournant du 19 e siècle. C’est un produit à forte valeur ajoutée et pour lequel il existe un important marché ! Dans une annonce publicitaire parue dans la Gazette de Québec le 1 er janvier 1784, le marchand et distillateur François Giratty énumère les nombreux alcools disponibles à son magasin, situé dans le local où se trouve l’actuel restaurant L’Entrecôte Saint-Jean à Québec. Il vend notamment du whisky, du ratafia, des eaux d’anis et du « Genièvre ».
Par la suite, le gin connaît des jours difficiles pendant les périodes de tempérance (années 1830-1850), puis pendant la prohibition (tournant des années 1920), mais il demeure toujours présent. Si les grosses distilleries industrielles dominent le marché pendant une grosse partie du 20 e siècle, ce sont aujourd’hui les plus petites distilleries qui se démarquent sur le marché québécois. Les gins actuels, bien ancrés dans le terroir d’ici, sont en phase parfaite avec le souci de consommer local !
Date: 7 juillet 2021